Claudio Abbado
Enfin la presse française s'interesse à Abbado


Merci au Figaro d'avoir enfin pensé à une interview de Claudio Abbado, nous la reproduisons intégralement, avec le regret d'y apprendre que nous le reverrons en france rarement. Mais nous sommes tous itinérants !


A PARAÎTRE À LA RENTRÉE PROCHAINE :

Falstaff, de Verdi, avec la Philharmonie de Berlin (DG);

Le Requiem de Verdi, dirigé le 27 janvier dernier à la Philharmonie de Berlin (EMI)

Dites leur que je ne suis pas mort"

Une interview de Claudio Abbado dans "Le Figaro"

Le Figaro, 22 mai 2001




Abbado : «Dites que je ne suis pas mort !»

Le maestro italien s'apprête à clore la saison lyrique de Ferrare avec «Simon Boccanegra» de Verdi. Depuis le «Requiem» de Verdi qu'il a dirigé à la Philharmonie de Berlin en février, il n'a pas cessé de travailler.
Malgré quelques ennuis de santé, il a récupéré son humour et sa vivacité juvénile. Rencontre.


Ferrare, de notre envoyé spécial Jacques Doucelin - Publié le 22 mai 2001,
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LE FIGARO. Vous venez de diriger et d'enregistrer Falstaff à Salzbourg.
Ce titre manquait à la somme verdienne gravée durant votre passage à la tête de la Scala de Milan : pourquoi
Claudio ABBADO. Je n'ai pas la religion des intégrales. On m'a mis l'étiquette de rossinien alors que je suis loin d'avoir dirigé tous ses opéras! A Milan, c'est vrai, j'ai privilégié les ouvrages dramatiques deVerdi: Otello, Don Carlos, Macbeth m'ont plus particulièrement sollicité.
Verdi a la réputation de ne pas rire souvent. Il passe même pour un tragique et Falstaff fait exception dans ce tableau sinistre où les morts s'entassent. Illusion en vérité! C'est ainsi que nous avons organisé à Berlin toute une soirée avec des airs joyeux d'opéras de Verdi sans emprunter à Falstaff, mais à Rigoletto, au Bal masqué, au Trouvère et au début de La Traviata. Je n'ai aucun regret d'avoir attendu avant de me plonger dans Falstaff: car ça n'est pas facile du tout! C'est vraiment comme du Shakespeare, à la fois drôle et très profond: la vie dans toute son épaisseur. Tout cela doit passer dans la musique et paraître naturel. Et quelle richesse de détail! Car Verdi s'inspire non seulement de Shakespeare, mais emprunte aussi à Boccace. On s'aperçoit ainsi que Nanetta, la fille, n'est pas la vierge effarouchée que s'imagine son père, mais qu'elle a un passé sexuel mouvementé!


Vous avez d'abord participé à la création de l'Orchestre des jeunes de la Communauté européenne, pérennisé dans l'Orchestre de chambre d'Europe puis vous créez le Gustav Mahler qui englobe des pays d'Europe centrale non membres de la CEE, et cela avant la disparition du rideau de fer entre l'Est et l'Ouest: vous avez anticipé les événements politiques
C'est à Vienne en 1986 que m'est venue l'idée de l'Orchestre Gustav Mahler. La capitale autrichienne fut une plaque tournante de l'art en Europe , pas seulement de la musique mais les artistes venaient de tous les pays voisins, Hongrie ou Tchécoslovaquie: sans Prague ou Budapest, la culture germanique serait plus pauvre. Gustav Mahler en est le meilleur exemple, lui qui est né dans un village tchèque avant de devenir mon prédécesseur à la tête de l'Opéra de Vienne. Ce sont ces musiciens-là qui sont le plus à même d'interpréter tout le répertoire qui va du romantisme du début du XIXe siècle à la musique sérielle du début du XXe. A l'époque, avec des amis de Leipzig, Bratislava et Budapest, nous voulions donc fonder un orchestre école, mais je ne voulais pas le faire sans des jeunes formés à Prague. Le gouvernement tchèque traînait les pieds: je vous rappelle qu'il s'agissait de faire jouer à l'Ouest des gens de l'Est! Finalement, Prague a sauté le pas. Aujourd'hui, c'est toute la mosaïque des peuples d'Europe qui se reflète dans la composition de l'Orchestre Gustav Mahler: il y a même plusieurs Français dans ses rangs! Et depuis le Don Giovanni de Mozart en 1998, chaque été, ces jeunes musiciens sont l'une des chevilles ouvrières du Festival d'Aix-en-Provence. La musique a effacé les frontières.


Sans doute. Mais vous qui avez dirigé sur tous les continents, pris la tête des plus grandes institutions lyriques et symphoniques européennes, on ne vous a jamais vu à Bayreuth. Vous avez finalement très peu dirigé Wagner, ou du moins sur le tard: Tristan l'an dernier à Salzbourg et vous allez finir votre règne berlinois à la fin de cette année sur Parsifal:
question de politique ou question de goût ?
Qu'est-ce que ça veut dire «diriger beaucoup» ou «peu» un compositeur ? Mesurez-vous cela au poids des partitions ? Moi, j'ai besoin de temps. Un jeune chef est venu pour travailler avec moi. Je lui ai demandé : «Que connaissez-vous ?» Il m'a répondu : «Tout.» Je n'ai plus rien à lui apprendre: au revoir ! C'est si riche Wagner qu'on ne peut le pénétrer que lentement. Je n'ai jamais dirigé une note de Puccini : n'allez pas en déduire que je ne l'aime pas. J'aime beaucoup Puccini. Je l'écoute. Mais quand il s'est agi de monter une oeuvre, j'ai eu d'autres priorités. On ne peut pas tout diriger. On peut, en revanche, proposer une partie d'un opéra: c'est ainsi qu'avec la Philharmonie de Berlin, je vais donner en concert le deuxième acte de Tristan qui forme un tout avec des épisodes symphoniques. Quant au Festival de Bayreuth, on m'y a invité après mon Lohengrin. Je n'y suis pas allé. Eva Wagner-Pasquier, qui en est le directeur désigné, est une amie. Ça ne veut pas dire pour autant que je dirigerai à Bayreuth !


Beethoven vous interpelle davantage: douze ans après l'intégrale des Symphonies avec la Philharmonie de Vienne (DG), vous venez de récidiver avec celle de Berlin. Qu'est-ce qui a motivé ce nouvel enregistrement ?

D'abord, dans la vie, on apprend toujours quelque chose qu'on ne savait pas. Soi-même, on approfondit sa connaissance des oeuvres. Et puis, le retour aux manuscrits originaux tout comme le travail d'Harnoncourt sur l'interprétation de ces Symphonies ont fait progresser l'approche qu'on en a. J'avais tenu compte de tout cela dans ma version viennoise. Mais le retour au manuscrit ne suffit pas, car Beethoven y a apporté lui-même de nombreuses corrections au fil des éditions successives. Tous ces détails historiques figurent désormais dans la nouvelle édition critique de Jonathan del Mar avec laquelle j'ai travaillé à Berlin. Cette abondance de variantes, de «remords» du compositeur permet de nouveaux choix au chef, lui donnant un regain de liberté.


Le maître de Berlin n'est tout de même pas allé jusqu'à diriger une formation baroque ?

Mais si! J'ai toujours été passionné par les recherches de Nikolaus Harnoncourt. Aujourd'hui, on ne peut plus jouer Monteverdi ou Bach sans instruments d'époque. Et puis, il y a les coups d'archet et le problème du vibrato. J'ai même constitué un ensemble que j'ai dirigé pour la Messe en si de Bach au Festival de Salzbourg.


Vous quittez Berlin à la fin de l'année...
Non ! Je vous arrête : je ne quitte pas Berlin, car je n'avais pas de «contrat à vie» avec la Philharmonie. Ils m'ont élu pour que nous fassions de la musique ensemble. C'est ce que nous avons fait durant onze ans et nous n'arrêterons pas du jour au lendemain: j'ai déjà des
rendez-vous avec l'orchestre pour après 2001


En tout cas, vous allez fonder un nouvel orchestre à Lucerne en 2003 : sera-ce une phalange permanente ?
Non. Il s'agit de musiciens qui viendront à titre individuel comme Natalia Gutman, la grande violoncelliste, qui accepte de devenir musicienne du rang. Ce sont tous mes amis: les jeunes du Quatuor Hagen et le Gustav Mahler au grand complet. Nous rejoignent aussi votre compatriote Emmanuel Pahud comme seconde flûte et ses anciens camarades solistes de la Philharmonie de Berlin qui ont été évincés par les maladresses de l'administration. Mon ambition est de les réunir pour faire de la musique symphonique comme Casals faisait à Prades de la musique de chambre avec ses amis et ses disciples. Car nous jouerons notamment le grand répertoire de la fin du XIXe siècle.


Avez-vous été surpris par la victoire de Berlusconi ?
Je vous ferai remarquer que Ferrare et l'Emilie-Romagne ont bien résisté.
Si je voulais être gentil, je dirais que les Italiens sont «crédules».
Mais on peut trouver au moins deux autres mots, moins bienveillants, qui commencent et finissent par les mêmes lettres... Pour être sérieux, je remarquerai que l'Italie vivait depuis la dernière guerre - cinquante-six ans! - sous le gouvernement des mêmes partis. En un sens, c'est un changement.


Je vous vois tout revigoré, plein de projets: comment allez-vous ?
Bien. Ce dont je suis sûr, c'est que seule la musique peut me sauver: la
joie de la faire avec des amis musiciens transcende tout.


Maintenant que vous ne devez plus d'exclusivité à personne, aurons-nous le plaisir de vous retrouver à la tête d'un orchestre parisien ?
Non. Ma santé me contraint à me concentrer sur un projet unique chaque année. Le prochain est Lucerne. Moi qui aime tant Pelléas, j'aurai la joie d'y diriger pour la première fois La Mer de Debussy. Et puis, je veux m'occuper de moi, travailler à des choses nouvelles, et vivre avec ma famille, mes enfants et mes petits-enfants: il est temps d'en profiter. Ça n'est pas pour aller faire du ski que je veux donner moins de concerts.
Mais s'il vous plaît, dites leur bien à Paris que je ne suis pas mort !

(1) A paraître à la rentrée prochaine chez DG qui vient de publier le nouveau coffret des Symphonies de Beethoven gravées également avec ses musiciens berlinois.




Claudio Abbado sur les traces de Karajan

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Né à Milan, le 26 juin 1933, Claudio Abbado est, à ce jour, le seul chef
d'orchestre à avoir mis ses pieds dans les traces de Karajan. Jusqu'en 1955 : étudie le piano, la composition et la direction d'orchestre au Conservatoire Verdi de Milan;
1957 : travaille la direction avec Hans Swarowski à Vienne;
1958 : remporte le prix Koussewitzky à Tanglewood;
1960 : débuts à la Scala de Milan dans Scarlatti;
1963 : 1er prix au Concours Mitropoulos à New York. Il refuse de prendre la direction d'un orchestre américain pour un concert que lui offre Karajan à Salzbourg: première recontre avec la Philharmonie de Vienne dans la 2e Symphonie de Mahler;
1965 : crée Mort atomique de Manzoni à la Scala;
1967 : ouvre la saison de la Scala avec Capulets et Montaigus de Bellini;
1968 : explose à Salzbourg avec un Barbier de Séville de Rossini qui rend Karajan jaloux; devient chef permanent à la Scala;
1971 : son ami Paolo Grassi, surintendant de la Scala, le nomme directeur
de la musique, puis directeur artistique en 1977. S'ouvre une période
riche où, avec ses amis Strehler au Piccolo Teatro de Milan, Nono dont il
crée en 1975 Au grand soleil d'amour chargé, et Pollini, il organise
concerts et répétitions publiques dans les usines et les écoles, et passe
des commandes à de jeunes compositeurs. Vient le temps des échanges entre
la Scala et l'Opéra de Paris de Liebermann (Simon Boccanegra de Verdi et
Wozzeck de Berg notamment);
1977 : il assume la direction jusqu'en 1990 de l'Orchestre des jeunes de
la Communauté européenne; il dirige Carmen avec Teresa Berganza et Placido Domingo au Festival d'Edimbourg.
1979 : directeur musical du London Symphony Orchestra jusqu'en 1989;
1982 : crée le Philharmonique de la Scala de Milan sur le modèle de celui
de Vienne;
1986 : il quitte la Scala pour l'Opéra de Vienne jusqu'en 1991. Dès 1987,
il devient directeur général de la musique à Vienne, régnant sur l'Opéra
et sur la Philharmonie: il crée alors l'Orchestre des jeunes Gustav Mahler
constitué d'instrumentistes venant de pays européens non membres de la CEE
(1986) et un festival de musique contemporaine, Wien Modern (1988); il
participe également au lancement du Festival Rossini de Pesaro,
ressuscitant notamment un légendaire Voyage à Reims qu'il dirigera dans le
monde entier sauf à Paris;
1990 : succède à Karajan à la tête de la Philharmonie de Berlin où il
reste jusqu'en 2002;
1992 : fonde avec Natalia Gutman les Rencontres de musique de chambre de
Berlin;
1994 : prend la direction artistique du Festival de Pâques de Salzbourg;
2003 : il fonde un festival et un nouvel orchestre à Lucerne.



Discographie

Publié le 22 mai 2001, page 26



Ce sont plus de 200 titres qui figurent rien que chez Deutsche Grammophon!
Mais Claudio Abbado n'a pas qu'une maison de disques! Il faut compter
encore EMI, Sony et Teldec. Et la liste n'est pas exhaustive.
BEETHOVEN : Symphonies: deux intégrales sont actuellement disponibles avec
la Philharmonie de Vienne et, douze ans plus tard, avec celle de Berlin
(DG)
BERG : Wozzeck (DG) ;Suite de Lulu (DG)
BIZET : Carmen (DG);
BRAHMS : Requiem allemand (DG) ; Symphonies (DG); Concertos pour piano,
avec Pollini (DG)
BRUCKNER : Symphonies (DG)
DEBUSSY :1(superscript: re) Rhapsodie (EMI), Pelléas et Mélisande (DG)
HINDEMITH : Kammermusik n° 1 à 7 (EMI)
MAHLER : Symphonies (DG)
MENDELSSOHN Symphonies (DG)
MOUSSORGSKI :La Khovantchina (DG)Boris Godounov (DG)
MOZART : Ouvertures (DG); Le Requiem (DG); Concerto pour clarinette, avec
Sabine Meyer (EMI); Concertos pour piano, avec Maria Joao Pires et Rudolf:
Serkin (DG); Les Noces de Figaro (DG) ; Don Giovanni (DG)
NONO :Il Canto sospeso (Sony);Como una ola de fuerza y luz, Contrappunto
(DG)
RAVEL : Boléro, Daphnis et Chloée (DG) ; Concertos pour piano, avec
Argerich (DG)
ROSSINI : Le Barbier de Séville, avec Teresa Berganza et Hermann Prey (DG)
; L'Italienne à Alger (DG); Ouvertures (DG) ; Le Voyage à Reims (DG)
SCHÖNBERG : Un survivant de Varsovie (DG)
SCHUBERT : Fierrabras (DG)
TAKEMITSU : Fantasma/Cantos (EMI)
TCHAÏKOVSKI : Concerto pour violon, avec Maxim Vengerov et la Philharmonie
de Berlin (Teldec)
VERDI : Duos, avec Roberto Alagna et Angela Gheorghiu (EMI); Don Carlos,
Aïda, Otello, Simon Boccanegra, Macbeth etc. (coffret réalisé à la Scala
de Milan DG) ; 2 Requiem (DG)
WAGNER :Lohengrin (DG)