Pour Carlos Kleiber: contributions |
Il nous manquait déjà, il nous manquera pour toujours
Carlos Kleiber s’est définitivement éloigné et nous ne l’écouterons plus diriger dans les théâtres d’Opéra ou les salles de concert. Il nous restait l’espérance de le revoir un jour au pupitre, et cette espérance s’est évanouie. Tous les journaux du monde ont publié et largement commenté la nouvelle. Nous y renvoyons les lecteurs. Nous savons tous que l’homme était particulier, et nous n’irons pas comme certains fouiller dans les méandres de la vie privée.
Je me contenterai cette fois de raconter quelque anecdote, venue des musiciens ou vécue en première personne.
Quand il répétait au MET de New York, il avait pris l’habitude d’écrire aux musiciens si nécessaire des petites remarques sur des bouts de papier, qu’il laissait discrètement sur les pupitres. Les membres de l’orchestre les conservaient précieusement. Quand il s’en aperçut, il en fut surpris, et très ému.
A l’époque du Ring de Chéreau-Boulez à Bayreuth, il était traditionnel d’aller à Munich pendant les journées libres entre Walküre et Siegfried ou entre Siegfried et Götterdämmerung. Gwyneth Jones, entre deux Brunnhilde (disons celle du mardi et du jeudi), chantait la Maréchale à Munich (mettons le mercredi…) …âge d’or ! J’allais donc souvent à Munich retrouver Kleiber, et tous les fans de Bayreuth étaient là aussi…A la fin du trio du troisième acte du Rosenkavalier, nous pleurions, toujours, sans jamais savoir pourquoi, sans même nous en apercevoir pendant le spectacle qu’à la fin, quand nous sentions nos joues humides des larmes versées.
Les musiciens de Munich lui laissaient toujours une rose sur sa partition…
Quelquefois je retournais à Munich au printemps, écouter « La Bohème », ou « La Chauve Souris » qu’il dirigeait encore assez fréquemment : un soir de Carnaval il arriva au pupitre déguisé en Boris Becker, avec perruque et raquette !
A Milan, il fut le dernier en 1987, à faire crouler le théâtre sous les « bravi » à l’occasion du centenaire d’Otello : je ne me souviens plus d’un tel triomphe depuis à la Scala, je ne me souviens plus non plus avoir fait depuis plus de 36 heures de queue .
Une autre fois, alors que je travaillais pour un Festival parisien, j’eus l’idée folle d’écrire à Carlos Kleiber pour l’inviter à diriger : des sources privées et proches du chef m’avaient recommandé de ne pas envoyer de fax ni d’appeler au téléphone : une simple lettre suffirait, si possible écrite à la main, et si elle était en français, mieux encore : Carlos Kleiber adorait la langue française. J’écrivis donc ma lettre à son adresse privée de Grünewald, près de Munich. Quatre jour après arriva une réponse, négative, sur une carte postale signée C.K., écrite à l’encre verte rédigée comme suit :
« Je ne sors plus de maison, je ne veux plus diriger, je ne réponds jamais aux lettres. Mais la vôtre était si gentille »... .
J’ai cette carte dans le coeur.
Merci Maestro.
Guy Cherqui
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