LA CHRONIQUE
 DU WANDERER
N°22


Miracle de Printemps


Guy Cherqui

Concert du 20 février 2004 à Ferrare
 

Serge Prokofiev Ouverture sur des thèmes hébraiques op.34

Paul Hindemith
Kammermusik n°1 Finale 1921 op.24n.1

Ludwig van Beethoven
Concerto n°3 en ut mineur op.37 pour piano et orchestre

Martha Argerich, piano
Mahler
Chamber Orchestra
Claudio Abbado






























































































































































































































En assistant au concert extraordinaire offert par la Mahler Chamber Orchestra, Claudio Abbado et Martha Argerich le 20 février, je me disais, « encore une soirée miraculeuse », et je voudrais essayer d’en chercher les raisons. Extraordinaire par le programme, totalement inhabituel, qui mêle musique de chambre pour petit ensemble et concerto pour piano, qui mêle les univers de Prokofiev et Hindemith à celui de Beethoven, un concert où Claudio Abbado ne dirige en fait que le concerto de Beethoven, laissant les solistes de la Mahler Chamber Orchestra seuls sur le plateau pendant la première partie, un concert avec rien moins que deux maîtres du piano, Bruno Canino en première partie et Martha Argerich en seconde partie, un concert où, pour la première fois, Martha Argerich exécutait en public le 3ème concerto pour piano de Beethoven en ut mineur op.37. Tant d’éléments surprenants, et inhabituels ont abouti à un résultat exceptionnel.

Exceptionnels les solistes de la Mahler Chamber Orchestra, emmenés par Antonello Manacorda et Bruno Canino, où l’on note tout particulièrement Romain Guyot et sa clarinette, Raymond Curfs impérial aux percussions dans le Hindemith, et Konstantin Pfiz, au violoncelle, bien connu du CAI .

La pièce de Prokofiev est une œuvre particulièrement adaptée à mettre en lumière la virtuosité instrumentale, au violoncelle et à la clarinette notamment. La Kammermusik n°1 avec final 1921, de Paul Hindemith, qui sera aussi exécutée à Lucerne le 23 août, avec d’autres solistes, au final explosif, qui a provoqué un triomphe dans le public (comme lors de la première exécution à Donaueschingen), rappelle dans bien des moments Stravinsky, les douze instrumentistes jouent sans chef (Abbado a enregistré la pièce avec les Berlinois il y a quelques années) et démontrent par leur virtuosité, mais aussi par la manière dont chacun s’écoute, ce que veut dire faire de la musique ensemble, mais laissent assez voir d’où vient la cohésion de cet orchestre. On aurait pu croire cette première partie très apéritive, attendant le moment fort de la soirée. En réalité, cette première partie a ouvert des horizons très stimulants pour des futurs programmes, vu l’impact qu’elle a eu sur les spectateurs.

Le concerto de Beethoven était évidemment très attendu, d’une part parce qu’une apparition de Martha Argeirch est toujours un événement, ensuite parce que Claudio Abbado ne l’avait plus exécuté depuis Vienne en 2001 (avec Kissin et les berlinois), enfin parce que rien n’avait filtré des répétitions, complètement fermées au public. Jamais exécuté par Martha Argerich et objet d’un enregistrement, nous aurons bientôt la chance de pouvoir l’écouter en CD !.

Il n’est pas question de nous livrer à une analyse détaillée de ce que nous avons entendu mais de confier au lecteur ce qui a frappé dans cette exécution. Déjà en 2001 nous avions remarqué le Beethoven de Abbado, un Beethoven interprété à l’aune des recherches d’un Harnoncourt, très marqué par le travail sur la musique baroque et sur le XVIIIème. Mais le son des berlinois est si rond, si plein que certains effets nous échappaient. L’acoustique sèche de la salle de Ferrare, la proximité des musiciens donne encore plus de valeur au travail analytique d’Abbado, qui tire ce Beethoven vers un romantisme non pas fleur-bleue mais au contraire très violent, contrasté, énergique mais en même temps déchiré, un romantisme goethéen. Les sons apparaissent nets, quelquefois coupants, les piani d’une légèreté qui semble impossible à obtenir de musiciens ordinaires. La nervosité était palpable dans le premier mouvement, aussi bien au clavier qu’à l’orchestre, mais le deuxième mouvement a tout emporté, l’interprétation magistrale de Argerich, faite de cette apparente simplicité qui attire les larmes, sans aucune fioriture,nous laissant face au texte et au texte seul, c’est à dire face à Beethoven. Le troisième mouvement étourdissant et repris en bis encore plus acrobatique, avec cette touche de fantaisie et d’ironie légèrement distanciée qui démontrait que désormais l’oeuvre était là, dans les mains, et que nous étions dans le miracle.

Le miracle a eu lieu : il a eu lieu parce que une fois de plus avec Abbado et ses amis, il y a une intimité dans le jeu des échanges soliste-chef, des regards, des sourires complices, qui participent de l’ambiance propice aux grands moments, et le public se fait discret, on n’entend plus tousser, bouger, grincer, on est tout à observer en voyeur ce qui se passe en scène, et qui est grand ; ce fut le même sentiment que nous partageâmes à Salzbourg lors d’un concert Beethoven avec Pollini en avril 2001, et ce fut là aussi une soirée de légende.

Aussi quand l’explosion finale et la joie palpable de tous, musiciens et public, a été accompagnée par la traditionnelle pluie de fleurs, que les musiciens en ont garni leurs cheveux, leurs instruments, que le piano lui même en a été couvert, Dionysos, une fois de plus, a accompagné le bis tout fleuri et étourdissant que Martha et Claudio ont offert, une reprise de dernier mouvement dans son entier, encore plus virevoltante, encore plus émouvante, une véritable annonce du Printemps.























































































































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