LA CHRONIQUE
Mozart
musique de Wolfgang Amadeus Mozart Livret d’ Emanuel Schikaneder - singspiel en deux actes - ed. Bärenreiter verlag, Kassel première: Vienne, Theater auf der Wieden, 30 septembre 1791 Sarastro : Matti Salminen Papageno : Nicola Ulivieri - Markus Werba Direction Musicale: Claudio Abbado Mise en scène: Daniele Abbado Nouvelle production Coproduction de I Teatri di Reggio Emilia, Teatro Comunale di Ferrara, Teatro Comunale di Modena, in collaboration avce Festspielhaus Baden-Baden, Allemagne
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On peut le dire d’emblée, l’opération est réussie à tous points de vue. L’enthousiasme énorme qui a accueilli la production tant à Reggio Emilia qu’à Ferrare en est une preuve. Daniele Abbado a conçu une boite à musique- boite aux merveilles géante, d’une simplicité apparente, mais qui sollicite en réalité toute la technique scénique tant la mécanique est délicate : trappes, praticables, portes coulissantes, pont, projections. Cette fausse simplicité se retrouve dans les costumes aux subtiles variations, dont on retiendra la jolie robe de Pamina, les trois dames tour à tour en noir, en blanc, en rouge, Papageno habituellement emplumé de pied en cap, qui se retrouve dans un simple costume d’homme du peuple, mais doublé de plumes, qui fait sortir tel un magicien des colombes de sa veste ; seul Tamino restera en blanc du début jusqu’à la fin, laissant le noir à la reine de la nuit, sorte de sorcière lointaine. Des costumes simples, vaguement orientaux (l’Orient se lit aussi dans les maquillages) et une structure géométrique noire donnent le ton de cette Flûte épurée. Daniele Abbado a voulu donner l’image de la stylisation, avec une apparente économie de moyens (on a vu qu’en réalité il n’en est rien) pas d’Egypte de pacotille, pas de symboles maçonniques, le simple combat de la lumière contre l’obscurantisme, un combat typiquement XVIIIème siècle : au total une mise en scène qui est moins simpliste qu’elle n’y paraît : beaucoup de subtilités, beaucoup de détails comme ce final où bons et méchants se retrouvent pour chanter le triomphe de la raison, comme ces enfants habillés comme Gavroche au départ et qui finissent habillés en élégants petits princes, comme cette armoire qui renferme Papagena, premier meuble d’un intérieur qui sera rustique et simple, symbole de la famille qui se crée, comme ces animaux sortis d’un roman de Borgès, qui émergent des murs, animaux-humanisés, humains animalisés comme dans une sorte de cabinet de merveilles orientales un monde qui renvoie très légèrement au cirque ou à la fête foraine. Un monde au fond rassurant. Dans ce cadre, la direction de Claudio Abbado, à la tête d’un Mahler Chamber Orchestra en état de lévitation mystique, renouvelle complètement notre vision de l’œuvre. Abbado a le secret de révéler à l’auditeur des sons jamais entendus, de créer des ponts nouveaux : il nous renvoie par le son des cordes aux origines, cela sonne quelquefois comme du Monteverdi (l’ouverture, les harmoniques des violoncelles et des contrebasses ! ), quelquefois comme du Beethoven : ce Mozart là n’est jamais sirupeux, jamais solennel comme la Flûte quelquefois peut l’être, là aussi un son épuré d’une énergie et d’une jeunesse incroyable, emporté à un tempo d’enfer quelquefois, étourdissant et presque rugueux, de cette énergie juvénile qui traverse l’œuvre, et de cette brutalité tendre que les enfants peuvent quelquefois montrer. Abbado comme d’habitude donne à entendre tous les instruments, fait couvrir quand il le faut les cuivres, valorise la flûte au point de créer la sensation en provoquant un bis lors du salut final (flûte et glockenspiel) Il est vrai que c’est Jacques Zoon, flûtiste soliste du Lucerne Festival Orchestra, qui tient le pupitre, et c’est un enchantement comme il se doit. On a bien vu l’an dernier avec Cosi Fan Tutte qu’Abbado avait « durci » son Mozart, il l’avait rendu à la fois incroyablement jeune, et incroyablement vital. Même impression pour la Flûte : la leçon des baroqueux est passée par là, mais aussi le regard sur ce qui suit. Il y a une homogénéité stylistique entre ce Mozart là et le Beethoven qu’il nous a donné à entendre en 2001. Au service de cette magie musicale des chanteurs pour la plupart à la hauteur : à commencer par le grand Matti Salminen, dont la voix a peut-être perdu de sa profondeur, mais qui reste un Sarastro impressionnant, la très poétique Pamina de Rachel Harnisch, à la voix si contrôlée, à l’émotion contenue, et permanente, Christoph Strehl, très bon Tamino, un Tamino qui annonce résolument Lohengrin avec sa voix très homogène et son aigu triomphant, même si l’émotion n’est pas toujours au rendez-vous, le Sprecher remarquable de Georg Zeppenfeld, une voix d’une qualité exceptionnelle, à réentendre dans une partie plus importante, les deux Papageno en alternance, si différents : celui complètement extériorisé de Nicola Ulivieri, vocalement impressionnant, scéniquement plein d’idées, un authentique personnage, mais à l’allemand difficilement compréhensible dans les dialogues, au contraire de Markus Werba, moins impressionnant vocalement, mais peut-être plus poétique, plus réservé, plus humain, à l’allemand impeccable, et pour cause. On citera aussi la douce Papagena de Julie Kleiter et tous les autres, les trois Dames, qui ont eu lors de la première quelques problèmes de tempo, Monostatos (Kurt Azesberger) et évidemment, est-il besoin de le souligner, les trois enfants du Tölzer Knabenchor, authentiques voix venues d’ailleurs, qui se lanceront lors des saluts dans une frénétique bataille de fleurs (les fleurs lancées par le CAI évidemment) avec l’orchestre, poussés par Claudio Abbado. Un seul point dolent : la reine de la Nuit de Ingrid Kaiserfeld, problèmes de justesse, d’aigu, de legato dans le premier air, moins dans le second, mais une voix bien ingrate très en difficulté lors de la première à Reggio, un peu meilleure par la suite. Mais est-ce si important au regard de la joie qui éclairait les visages des spectateurs et des artistes à la fin de chaque représentation, est-ce si important au regard d’une réussite collective, qui a porté cette musique et en a fait un comble pour une partition aussi connue une sorte de nouveauté absolue. Le grand architecte de cet univers, pour reprendre une métaphore maçonnique, c’est évidemment Claudio Abbado, sans lequel l’entreprise perd son sens, mais qui en architecte génial, a su tirer le meilleur de chaque partie, de chaque élément, de chaque artiste : ce qui frappe, c’est au fond l’extraordinaire homogénéité du spectacle, ce qui en fait un des grands moments de cette année. |
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