LA CHRONIQUE
 DU WANDERER
N°32


L'auditorium de Lucerne (Arch.Jean Nouvel)


Le Beau, ardent et triste
Guy Cherqui


11-12 Août
19h30

Beethoven
Concerto pour piano et orchestre n°3
Alfred Brendel,piano


Anton Bruckner
Symphonie n°7



Lucerne Festival Orchestra
CLAUDIO ABBADO


17 & 18 Août
19h30

Alban Berg
Fünf Orchesterlieder op.4 (Altenberg Lieder)
Franz Schubert
Drei Lieder für Sopran und Orchester
Renée Fleming,soprano


Gustav Mahler
Symphonie n°7

Lucerne Festival orchestra
CLAUDIO ABBADO


20 Août
19h30

Luigi Nono
Prometeo Suite n°1 & 2
Rachel Harnisch, Soprano
Juliane Banse, Soprano
Susanne Otto, Alto
Marek Torzewski, Ténor
André Richard
Tonstudio


Franz Schubert
Sieben Lieder für Bariton und Orchester
Thomas Quasthoff, Bariton


Richard Wagner
Tristan und Isolde
Prelude, Liebestod


Lucerne Festival orchestra
CLAUDIO ABBADO


































































































































































































































Le programme de cette inauguration proposait le concerto n°3 de Beethoven pour piano et orchestre en ut mineur op.37, avec pour soliste Alfred Brendel. J'étais encore sous le charme de l’interprétation de Martha Argerich à Ferrare, avec un Mahler Chamber Orchestra à l’effectif réduit où Abbado avait pleinement cueilli l'esprit plus "léger" qu’Argerich avait imposé, avec une interprétation vive, faite de géniale simplicité.

En revanche avec Brendel, il est clair qu'il fallait un autre type d'approche, avec un orchestre plus important, un son plus "présent", un rythme plus marqué, une vision d’une certaine manière plus traditionnelle, mais pas moins fascinante, avec ces ruptures de rythme, cette couleur plus majestueuse, plus "autrichienne" à lier peut-être au Bruckner qui suivait, mais toujours très personnelle, comme toujours avec Brendel, et comme souvent avec ses imprécisions techniques et ses petites erreurs, çà et là, qu’on pardonne d’autant plus facilement que l’interprétation reste un monument.

Des trois exécutions entendues (deux concerts et la répétition générale) le second concert a peut-être été le plus convaincant techniquement, avec un dialogue plus décisif entre chef et soliste. Un exemple : l'attaque à surprise du troisième mouvement et la quasi absence de silence entre deuxième et troisième mouvement semblait même avoir surpris Abbado. Brendel a laissé dans le second concert un instant de silence en plus....
Brendel propose une vision plus "traditionnelle", peut-être même plus construite, plus mise en scène,plus intellectualisée qui pour sûr ne ressemble pas au Beethoven d'Abbado des dernières années, plus mince, plus nerveux, plus vital. Mais pourquoi ne pas se laisser aller au plaisir d’écouter quelque chose d’encore différent, c’est encore une preuve de richesse peu ordinaire que de varier les styles au détour d’une rencontre : on avait l’impression que tantôt c’était Brendel qui dominait, et tantôt Abbado tirait l’ensemble vers plus de ductilité. Un duo où les voix prenaient tour à tour les rênes de l’ensemble.

La septième symphonie de Bruckner ne pouvait pas ne pas rappeler de plus tristes souvenirs : la dernière fois que nous l’avions entendue, c’était dans cette salle, avec les Berliner Philharmoniker, fin août 2000, avec Bernard Haitink au pupitre substituant Claudio Abbado si gravement malade.

Beaucoup d’entre nous éprouvent quelques difficultés avec Bruckner : monumentalité écriture dépourvue de ces raffinements mahlériens, abus des cuivres, motifs exagérément répétés, incapacité apparente à conclure. Voilà ce qu'on entend souvent.

La Septième Symphonie reste, comme la Quatrième, la plus connue et la plus populaire: ce fut le premier triomphe de Bruckner (à Leipzig le 30 décembre 1884 sous la direction d'Arthur Nikisch, son admirateur de la première heure). Nous connaissons par ailleurs aussi l’utilisation qu’en a fait Visconti dans son film "Senso".

L'exécuter à Lucerne, à deux pas de Tribschen où Wagner vécut des années si essentielles, c’est aussi évoquer le lien de Bruckner à Wagner et l'admiration éperdue qu’il nourrit envers le maître de Bayreuth.
Dahlhaus disait que si Wagner soutenait qu'il fallait s'appuyer sur le langage musical beethovenien pour construire le drame musical, Bruckner avait quant à lui utilisé le langage du drame musical pour écrire ses symphonies . Beethoven, Wagner, Bruckner: nous suivons décidément ce fil rouge de la musique du dix-neuvième siècle, en écoutant une symphonie qui est clairement un hommage à Wagner, surtout dans l'adagio, véritable accompagnement funèbre et mélancolique (écrit peu après la mort de Wagner en 1883 à Venise), en utilisant les ressources du wagnérisme (premières mesures…) sans pourtant tomber dans l'imitation ou la servilité ( incluant quand même quelques citations wagnériennes , souvent présentes dans les références symphoniques de la fin du XIXème ).

Avec son orchestre "introuvable", à propos duquel tout a été écrit, Abbado propose une lecture précise comme toujours, il fait émerger tout le tissu de la composition, tous les niveaux de l'instrumentation, qui mettent chaque musicien en relief, la trompette de Reinhold Friedrich, les timbales de Raymond Curfs, les bois de Sabine Meyer, Albrecht Mayer, Jacques Zoon, mais ce qui surprend toujours, malgré l'habitude de ce type d’ exécution irréprochable, c’est la plénitude et la cohérence sonores, le velouté si sensible des cordes, (j’ai un faible pour les violoncelles). Dans ce contexte de perfection, les instants les plus forts restent l’attaque célèbre du premier mouvement ainsi que son crescendo final, climax interrompu brutalement, comme suspendu, l'adagio avec le jeu incroyable des cordes et des bois.
Bruckner sait jouer avec la mélodie pour l'interrompre ensuite, en créant de la frustration chez l'auditeur, mais même aussi de la tension : le public vit cette tension jusqu'à l'explosion…Explosion, terme qui rarement sans doute ne s’était allié à cette douceur, ce recueillement, ce lyrisme à la fois ardent et moëlleux.

Cet orchestre n’est pas n’importe quel orchestre, au-delà des solistes exceptionnels qui le composent, presque tous les musiciens se connaissent, ont travaillé ensemble ailleurs, ont connu Abbado il y a deux, dix, vingt ans : le maître a appelé, comme disait ce journaliste allemand, et ils sont venus ! L’ambiance particulière, on la constate à la fin des concerts, quand tous s’embrassent, se serrent les uns les autres, on la constate dans les regards complices , les sourires qui s’échangent pendant l’exécution. Le ciment de ce groupe, c’est Claudio Abbado, qui crée une adhésion non mystique, mais affectueuse, et qui transpire la musique de tout son corps dont émane chaleur, sentiment, élan, de cette authentique vibration qu’il communique si bien aux musiciens : il suffit de lire les expressions de son visage tour à tour farouche, souriant, recueilli, extatique, pour comprendre que ce qui se passe est de l’ordre du vital : rien d’ordinaire, rien de déjà vu , mais au contraire de nouveaux horizons, en pleine cohérence avec la devise du Festival cette année "Neuland" (Terra incognita).

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