LA CHRONIQUE
L'auditorium de Lucerne (Arch.Jean Nouvel)
11-12 Août Beethoven Anton Bruckner 17 & 18 Août Lucerne Festival orchestra 20 Août Richard Wagner
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En revanche avec Brendel, il est clair qu'il fallait un autre type d'approche, avec un orchestre plus important, un son plus "présent", un rythme plus marqué, une vision d’une certaine manière plus traditionnelle, mais pas moins fascinante, avec ces ruptures de rythme, cette couleur plus majestueuse, plus "autrichienne" à lier peut-être au Bruckner qui suivait, mais toujours très personnelle, comme toujours avec Brendel, et comme souvent avec ses imprécisions techniques et ses petites erreurs, çà et là, qu’on pardonne d’autant plus facilement que l’interprétation reste un monument. Des trois exécutions entendues (deux concerts et la répétition générale) le second concert a peut-être été le plus convaincant techniquement, avec un dialogue plus décisif entre chef et soliste. Un exemple : l'attaque à surprise du troisième mouvement et la quasi absence de silence entre deuxième et troisième mouvement semblait même avoir surpris Abbado. Brendel a laissé dans le second concert un instant de silence en plus.... La septième symphonie de Bruckner ne pouvait pas ne pas rappeler de plus tristes souvenirs : la dernière fois que nous l’avions entendue, c’était dans cette salle, avec les Berliner Philharmoniker, fin août 2000, avec Bernard Haitink au pupitre substituant Claudio Abbado si gravement malade. Beaucoup d’entre nous éprouvent quelques difficultés avec Bruckner : monumentalité écriture dépourvue de ces raffinements mahlériens, abus des cuivres, motifs exagérément répétés, incapacité apparente à conclure. Voilà ce qu'on entend souvent. La Septième Symphonie reste, comme la Quatrième, la plus connue et la plus populaire: ce fut le premier triomphe de Bruckner (à Leipzig le 30 décembre 1884 sous la direction d'Arthur Nikisch, son admirateur de la première heure). Nous connaissons par ailleurs aussi l’utilisation qu’en a fait Visconti dans son film "Senso". L'exécuter à Lucerne, à deux pas de Tribschen où Wagner vécut des années si essentielles, c’est aussi évoquer le lien de Bruckner à Wagner et l'admiration éperdue qu’il nourrit envers le maître de Bayreuth. Avec son orchestre "introuvable", à propos duquel tout a été écrit, Abbado propose une lecture précise comme toujours, il fait émerger tout le tissu de la composition, tous les niveaux de l'instrumentation, qui mettent chaque musicien en relief, la trompette de Reinhold Friedrich, les timbales de Raymond Curfs, les bois de Sabine Meyer, Albrecht Mayer, Jacques Zoon, mais ce qui surprend toujours, malgré l'habitude de ce type d’ exécution irréprochable, c’est la plénitude et la cohérence sonores, le velouté si sensible des cordes, (j’ai un faible pour les violoncelles). Dans ce contexte de perfection, les instants les plus forts restent l’attaque célèbre du premier mouvement ainsi que son crescendo final, climax interrompu brutalement, comme suspendu, l'adagio avec le jeu incroyable des cordes et des bois. Cet orchestre n’est pas n’importe quel orchestre, au-delà des solistes exceptionnels qui le composent, presque tous les musiciens se connaissent, ont travaillé ensemble ailleurs, ont connu Abbado il y a deux, dix, vingt ans : le maître a appelé, comme disait ce journaliste allemand, et ils sont venus ! L’ambiance particulière, on la constate à la fin des concerts, quand tous s’embrassent, se serrent les uns les autres, on la constate dans les regards complices , les sourires qui s’échangent pendant l’exécution. Le ciment de ce groupe, c’est Claudio Abbado, qui crée une adhésion non mystique, mais affectueuse, et qui transpire la musique de tout son corps dont émane chaleur, sentiment, élan, de cette authentique vibration qu’il communique si bien aux musiciens : il suffit de lire les expressions de son visage tour à tour farouche, souriant, recueilli, extatique, pour comprendre que ce qui se passe est de l’ordre du vital : rien d’ordinaire, rien de déjà vu , mais au contraire de nouveaux horizons, en pleine cohérence avec la devise du Festival cette année "Neuland" (Terra incognita). |
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