La chronique du Wanderer

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Le Wanderer revient de Hanovre où il a vu Faust de Goethe, dans la mise en scène de Peter Stein (Marathon du 5 et 6 août)

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La chronique du Wanderer
N°4

Le texte-Roi
"Faust", en version intégrale. 21 heures d'un spectacle signé Peter Stein à Hanovre

Ce Faust, Peter Stein l'a voulu depuis des années, sans jamais pouvoir le monter. Et puis EXPO2000 s'y est intéressé. Il fallait à cette entreprise un cadre exceptionnel qui puisse accueillir à la fois les répétitions et une série de spectacles dans des conditions optimales. Dans le catalogue-programme du spectacle, Stein en expose les multiples difficultés: d'abord trouver un producteur et l'argent nécessaire (plus de 25 millions de DM), et des lieux, puis trouver des acteurs disponibles pour une période d'au moins deux ans, enfin résoudre le problème du théâtre d'accueil: aucun théâtre officiel ne pourrait mobiliser à ce point ses forces pendant des mois. Depuis Septembre 1999, la troupe est prise par les répétitions, depuis le 22 juillet, elle joue à Hanovre, elle reprendra le spectacle à Berlin du 21 octobre 2000 au 15 juillet 2001, puis à Vienne du 8 septembre 2001 au 16 décembre 2001. Deux versions du spectacle, le Marathon: 21 heures de présence du samedi 15 heures au dimanche 23h15, et la version dite "Sushi", Faust divisé en six soirées de trois heures trente chacune environ. Faust, ne pas l'oublier, c'est plus de 12000 vers et sur une durée totale d'environ 15 heures (entr'actes exclus). Stein a donc entrepris un projet sinon faustien, du moins prométhéen!

Le lieu: un hall de l'EXPO, le hall 23, entièrement dédié à l'entreprise: 300m de long, 120 de large, 12 m de haut. A l'intérieur, le jeu se joue sur deux espaces alternativement utilisés : deux surfaces rectangulaires de 70m de long sur 30 m de large chacune, délimitées par d'immenses pendrillons de velours noir et séparés l'une de l'autre par un corridor de 5 m de large environ. Le reste servant de dépôt de décors, coulisses et espaces publics (Foyer, restauration). Stein a prévu pour chaque scène un rapport avec le public différent, d'où des transferts incessants d'un espace à l'autre, où les gradins modulables sont disposés à chaque fois de manière différente, où les spectateurs sont tantôt assis tantôt debout, où le décor est tantôt au fond, tantôt au centre, tantôt au dessus: toutes les 45 minutes, un changement survient!
C'est que le texte de Goethe est si varié, si foisonnant qu'il demande un rapport au public à chaque fois différent, c'est aussi que le Faust est indiscutablement un texte sur le théâtre et ses limites, ou plutôt ses possibles. Aller jusqu'au bout des possibles, c'est ce que Peter Stein essaie de faire tout au long de son travail. Alors son Mephisto est un diable de théâtre, son enfer est un enfer pour enfants avec ses démons en carton pâte et sa gueule en forme de poisson féroce, le ventre de la baleine en somme. Sans cesse, et dès le prologue "Sur le théâtre", on aura bien soin de nous rappeler où nous sommes. Et pourtant, il faut oser mettre en scène l'ascension de Faust au Ciel, avec tous les personnages familiers des fresques religieuses, mais pas si familiers des planches, une ascension en forme de tourbillon, de coupole, et des âmes toutes blanches comme dans nos rêves les plus séraphiques..il faut oser certes, mais Goethe avait aussi osé avant lui!

Sur un aussi long chemin, nous passons également par des moments de pur spectacle (le défilé de Carnaval, ou plutôt le Carnaval des Mythes, la première Nuit de Walpurgis, avec son aspect Mécanico-diabolique, la promenade de Pâques), des moments de recueillement à la limite de l'ennui (La seconde Nuit de Walpurgis), des moments sublimes de poésie pure (le lever du soleil au début du Faust 2), des moments de pur théâtre et de joie du texte (tout l'épisode d'Hélène), nous passons du rire à l'angoisse, de l'agacement à l'extrême émotion. Car sur l'ensemble, il y a certes des moments plus difficiles, moins réussis que d'autres, mais on demeure totalement fasciné, prisonnier de ce qu'il fait bien appeler le miracle Goethéen. Stein a présenté un Faust au total assez conventionnel ou plutôt, une vision traditionnelle de l'histoire de Faust, tout le Faust I est d'ailleurs fort surprenant sous ce rapport; dans le Faust II au contraire, le côté débridé de l'histoire permet au metteur en scène toutes sortes de fantaisies:tout cela, la presse allemande le lui a reproché , ainsi que la presse française, qui souligne - à tort à mon avis - l'oubli du texte au profit de la machine de théâtre et de la poupée. Le  Wanderer n'est pas aussi bégueule ! Le Wanderer a (re) découvert, suffoqué, un texte qu'il avait enfoui dans sa mémoire scolaire, un texte miraculeux. Que tous ceux qui osent dénigrer le son et les rythmes de la langue allemande écoutent ce texte rempli d'assonances, de jeux de mots, jeux de rimes qui sont tout à la fois des jeux de mots et des jeux sémantiques, Goethe fait souvent du Raymond Devos avant la lettre, dans la sphère de la sublime poésie et de la musique verbale. Ecrasés par la jeunesse et la fraîcheur d'un texte dont une bonne partie (le Faust II) a été écrit par Goethe octogénaire, nous nous nous laissons aller, au rythme de la langue, au rythme du jeu d'acteurs exceptionnels: le jeune Nickel, remplaçant le grand Bruno Ganz au pied levé ne s'en tire pas si mal, même s il manque de crédibilité en vieillard chenu! la jeune Dorothee Hartinger , extraordinaire Gretchen, femme enfant, qui réussit à emporter l'adhésion dans la scène finale du Faust I, où elle a un texte impossible, ou l'Hélène de grande tragédie de Corinna Kirchhoff, dont la beauté sert un personnage à la Deneuve! Sans oublier bien sûr les Mephisto (trois se partagent le rôle) avec une mention particulière pour l'inquiétant Robert Hunger-Bühler. Ainsi, ce Faust est-il une vraie folie, folie des grandeurs de Peter Stein, sans aucun doute, folie d'un Goethe qui n'a plus rien à perdre, gloire octogénaire qui dit son fait au monde entier, et même à Dieu, utilisant toutes les formes théâtrales possibles: du baroque à la Tragédie, du drame bourgeois à la comédie, du burlesque au au larmoyant. Tout y passe. Tout y est. Et l'on reste pantois, ballotté entre le sérieux et la farce, entre le cérébral et la chansonette, et voilà qu'au bout de 21 heures de présence dans le Théâtre, le spectateur n'a qu'une envie, c'est que cela continue, le voilà vampirisé lui aussi par cette diablerie.


Faust:

Mise en scène:Peter Stein
Décor: Ferdinand Wögerbauer (Faust I)
Stephan Mayer (Faust II)
Costumes: Moidele Bickel
Faust: Christian Nickel
Gretchen: Dorothee Hartinger
Mephisto:
Johann Adam Oest
Robert Hunger Bühler
Christine Oesterlein
Helena: Corinna Kirchhoff