La chronique du Wanderer

Le Wanderer - en français "le voyageur", rend compte de ses itinérances, de ses observations, de ses colères et de ses rencontres avec l'exceptionnel. Chacun de nous est le Wanderer: il suffit de nous envoyer un texte qui concerne la musique et plus particulièrement l'activité de Claudio Abbado, et nous le publierons!

Aujourd'hui le Wanderer rend compte du FIDELIO donné par Sir Simon Rattle à Berlin le 25 avril dernier

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La chronique du Wanderer
N°16

Ascension difficile vers l'Eternité



Fidelio est une oeuvre difficile de plusieurs points de vue.. D’une part sa dramaturgie est désordonnée et manque d’homogénéité entre la première partie et la seconde, de l’autre on hésite entre l’opéra comique ( l’action entre Jacquino et Marzellina), et le grand Opéra noble (dans la seconde partie) , enfin les difficultés du chant qui en dérivent , notamment pour les rôle de Florestant et Léonore, en font une des oeuvres les plus risquées pour un chanteur. Tant d’artistes et de metteurs en scène qui s’y sont frottés ont connu de notables échecs. Quelques exemples seulement: Strehler, le grand Giorgio Strehler au Châtelet et à la Scala a perdu son pari, avec un spectacle trop lourd , de grands chanteurs ont connu de notables difficultés : Cheryl Studer et Ben Heppner à Salzbourg avec Solti en1996, et plus loin dans le temps, je me rappelle le grand et alors jeune Siegfried Jerusalem aller au naufrage dans une version concertante à Paris sous la direction de Barenboim.

On a fait de Fidelio un opéra des droits de l’homme et de la liberté, certes, c’est aussi vrai qu’il est aussi une œuvre profondément inscrite dans la mode de l’époque des opéras et pièces de théâtre « à sauvetage » dont Cherubini nous donne un éclatant exemple avec la Lodoiska qu’on put voir, seulement une saison, dans l’extraordinaire interprétation qu’en donnèrent Riccardo Muti et Luca Ronconi. D’ailleurs peut-on tenir pour un hasard que le héros libérateur soit Floreski dans Lodoiska et le héros prisonnier Florestan dans Fidelio ? Car si l’on dit généralement que la première partie de Fidelio est plus mozartienne, je la tirerais bien plutôt vers le XVIIIe tardif, plutôt vers Haydn que vers Mozart, avec des liens notables à Cherubini et même Spontini (qui s’inspira de qui ? les copieurs ne sont pas forcément ceux qu’on croit….) . Remercions Riccardo Muti, par son patient travail sur cette période où il est littéralement irremplaçable, de nous l’avoir fait comprendre, et de manière si lumineuse.

Tout cela est donc complexe, et toute représentation de Fidelio est quelque part un défi, et une curiosité, c’est pourquoi entendre Sir Simon Rattle et le Philharmonique de Berlin constituait un privilège et un grand événement.

A l’abbadien n’a pas été donné le privilège d’entendre Claudio Abbado diriger Fidelio. C’était l’un des projets prévus dans les années 90 pour la Scala (avec Il Barbiere di Siviglia ), on sait ce qu’il en advint après l’affaire d’Elektra. Il nous reste à espérer que ce projet soit encore dans les cartons, car entendre Abbado dans Fidelio après son étourdissant, inestimable et unique Beethoven des années 2000 devrait remettre les pendules à l’heure.

Le Wanderer était donc à Berlin le 25 Avril dernier, célébrant en même temps l’anniversaire des derniers concerts de Claudio Abbado dans cette salle en Avril 2002. N’ayant pu aller à Salzbourg, il a pu néanmoins voir la retransmission de l’œuvre sur Arte et a pu comprendre l’esthétique de la mise en scène de Nikolaus Lehnhoff.

L’impression première est encore – on ne le répétera jamais assez – une œuvre terrible pour les principaux chanteurs : Florestan aborde son grand air en ouverture du 2e acte complètement à froid, et « Gott », première parole de son air, est souvent d’une justesse problématique. Ce ne fut pas le cas pour Jon Villars, à la voix puissante (on se souvient de lui dans Enée à au Festival d’Eté de Salzbourg) au style élégant, mais le crescendo final de son air a raison de son souffle, Jon Villars n’est pas encore Jon Vickers .

A Léonore il faut à la fois une ductilité toute latine, une puissance wagnérienne, un timbre straussien, pas de place pour les sons fixes, tout passe en souplesse, en agilité, en force mais du premier acte peu à peu épique (Air « Abscheulicher ») au 2ème acte constamment tendu, la voix est dans tous ses états : dans les vingt dernières années, Gwyneth Jones, Hildegard Behrens bouleversantes bêtes de scène ont surmonté le défi, plus en arrière, Janowitz, évidemment plus lyrique que dramatique, Nilsson, plus dramatique que lyrique, plus loin encore Resnik, oui la toute jeune Regina Resnik avec Bruno Walter s’ouvrait dans Léonore une carrière époustouflante. On le voit, un rôle pour des monstres sacrés, que Waltraud Meyer a défendu sur les scènes très vaillamment, mais Waltraud Meyer qui a toute l’énergie et la puissance, malgré toute son intelligence du chant, n’a pas le lyrisme, l’agilité, la ductilité vocales nécessaires…

Angela Denoke, qui était Léonore à Berlin et Salzbourg ne déçoit pas, elle a le physique, incontestablement une voix, sinon la voix, elle n’a peut-être pas encore l’endurance, car si certains sons sont incroyablement puissants, d’autres restent court, et l’ensemble manque d’homogénéité, il reste que c’est une très belle prestation. Des autres rôles ont retiendra le Rocco très humain de Laszlo Polgar, à la voix un peu voilée, fatiguée, mais pour Rocco, pourquoi pas ? Alan Held en méchant Pizzaro, très méchant, pas trop original, Jacquino anomyme du pourtant bon Rainer Trost, face à la jolie Marzellina de Juliane Banse, assez convaincante, et enfin, un étonnant Thomas Quasthoff dans le court rôle de Fernando, nous l’attendons ailleurs, sur scène…

Le chœur Arnold Schönberg, comme toujours, montre qu’il est l’une des plus grandes phalanges aujourd’hui et il domine les étourdissantes dernières minutes, menées sur un rythme infernal par Sir Simon Rattle.

Le Beethoven de Sir Simon Rattle n’a pas fini d’étonner. Une lecture toujours contrastée, fortement en relief, comme ces statues grecques dont on accentue les traits pour mieux les voir de loin, une lecture très marquée par le XVIIIe dans le premier acte, dont on sait Sir Simon Rattle un des grands spécialistes (il faut entendre son Haydn ou son Rameau, littéralement incroyables…). Une lecture de Beethoven en devenir, dont on ne sait si elle privilégie l’énergie, la dynamique, le spectaculaire, une lecture rarement émotive, souvent plus démonstrative et donc quelquefois superficielle. Je me souviens d’une Pastorale avec Birmingham il y a quelques années à Salzbourg dont le deuxième mouvement m’avait cloué sur place, mais où le dernier mouvement m’avait laissé indifférent, les derniers concerts Beethoven entendus (une IXème à Vienne avec les Wiener, un concerto n°3 à Berlin avec les Berliner) m’ont laissé sur ma faim. Ce Fidelio – notamment le deuxième acte – m’a souvent séduit, toujours intéressé, rarement ému. Et ce que j’ai vu à la télévision de la mise en scène salzbourgeoise ne m’a pas convaincu : un modernisme qui masque un propos fort classique, pas d’idées, sinon quelques effets lumineux séduisants…mais là que les abbadiens qui étaient dans la salle me répondent !

Il y a avec Beethoven peut-être plus qu’avec d’autres musiciens l’impression d’un vrai dialogue direct, d’une clarté subite du propos, sans fioritures, d’un discours qui raconte énergie, effort, souffrance, sublime, tendresse. Cette impression d’être de plain pied avec le propos beethovénien, seuls – pour moi du moins – Furtwängler et Abbado me l’ont donné. Abbado dans Beethoven est au-delà de la démonstration, il est en phase, en dialogue direct dans un ordre qui tient presque du spiritisme, diabolique quatrième dimension où Dionysos est en action. Mais Abbado n’a pas dirigé Fidelio.

Furtwängler écrase et en même temps émeut aux larmes – ah, ce crescendo du début du dernier tableau au Theater an der Wien en 1953 – lui aussi, il est en dialogue direct et nous y fait pénétrer de plain pied mais dans le monde rigoureux et lumineux que domine Apollon.

Rattle est n’est encore à mon avis qu’un lecteur –génial , car ce chef a du génie -, mais encore lecteur, il ne parle pas, il n’émeut pas, il se contente quelquefois de stupéfier . Grand, étourdissant, mais encore extérieur. On n’est décidément pas dedans. Mais sans doute tout cela est effet de maturation, de distance, de connaissance intime – au sens le plus fort- des partitions : il n’a pas encore 50 ans !

Dernier souvenir, vers la fin de sa vie, en 1996 Sir Georg Solti donnait à Salzbourg avec Vienne, dans une mise en scène profondément juste du regretté Herbert Wernicke, avec une Studer à bout et un Heppner à court, un Fidelio que je crois , pour l’avoir réécouté après l’avoir vu et revu, de légende. Chant du cygne, comme celui du grand « Furt » en 1953.

Il faut peut-être être au seuil de l’éternité pour dominer cette œuvre.



L.v.Beethoven: Fidelio
Banse, Denoke
Held, Polgar,Quasthoff,Trost, Villars

Arnold Schoenberg Chor
Berliner Philharmoniker
Sir Simon Rattle