La cronaca del Wanderer

Le Wanderer - en français "le voyageur", rend compte de ses itinérances, de ses observations, de ses colères et de ses rencontres avec l'exceptionnel. Chacun de nous est le Wanderer: il suffit de nous envoyer un texte qui concerne la musique et plus particulièrement l'activité de Claudio Abbado, et nous le publierons!


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Euro2000
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La chronique du Wanderer
N°6



Concerts à Salzbourg

Les concerts du Festival de Pâques 2001
 Claudio Abbado dirige Beethoven


Après les triomphes répétés de Rome et de Vienne, on aurait pu croire la page "Beethoven" tournée. Ou mieux, la messe était dite. Pourrait-on vivre en plus fortement, plus intensément une interprétation beethovénienne ? Et surtout, dans le cadre compassé du Festival de Pâques, était-il possible de retrouver l'enthousiasme et la folie qui a saisi le public un certain 24 février à Vienne ?
Et pourtant, le 15 avril, jour de Pâques 2001, quelque chose s'est encore déclenché qui a fait hurler et bondir le public. Comment user encore des superlatifs alors qu'on en a usé et abusé pour les concerts précédents: oui, la septième symphonie de Beethoven exécutée ce soir là a tout remis en question. Comment est-il possible de donner une telle intensité ? Comment rendre l'incroyable précision des attaques, les acrobaties des instrumentistes, la folle rapidité du dernier mouvement qui vous prend dans un incroyable tourbillon rythmique, l'impossible émotion qui saisit à la gorge dans cet océan sonore pourtant exécuté par un orchestre aux dimensions relativement modestes (Quatre contrebasses: elles étaient huit la veille pour Bruckner et elles étaient moins présentes). Oui ce soir là quelque chose s'est passé lors de la Septième qui est vraiment de l'ordre de la magie, car ce souvenir réussit (si l'on peut user de ce mot) presque à effacer la magistrale exécution qu'on a entendue du Concerto N°5 "L'Empereur" par Maurizio Pollini le même soir. Pollini en état de grâce, d'une concentration rare, en parfaite osmose avec l'orchestre et avec le chef, a offert là, et c'est lui qui le dit, la prestation la meilleure des quatre prestations des derniers mois dans "L'Empereur".
Il n'y a rien à dire, il n'y a qu'à décrire les réactions incroyables du public qui spontanément s'est levé à la fin de l'exécution, de l'orchestre qui applaudit son chef, des sourires de tous les spectateurs qui ce soir-là ne voulaient pas quitter la salle: il y a eu unanimité. Nous avons vécu là un moment unique dans une vie de mélomane, un des ces moments irremplaçables qui donne sens à l'art, aux passions, aux émotions en bref, à tout ce qu'on donne pour la musique.
Et pourtant, je suis sorti le vendredi précédent du premier concert en pensant que j'avais sans doute écouté là le meilleur concert de ma vie, ou tout au moins l'un des meilleurs: pensez donc: Maxim Vengerov dans le Concerto pour violon op.61 de Beethoven, la Symphonie N°4, et la Fantaisie op 80 avec Maurizio Pollini, l'European Festival Chorus et quelques chanteurs parmi les meilleurs du moment (Mélanie Diener, Rainer Trost etc..).
Il y a chez Vengerov une telle revendication de la personnalité sur la technique que l'on peut comprendre combien il puisse heurter certains mélomanes. Au-delà de la technique redoutable et, ce soir là sans failles, on ne peut que se trouver absolument sans voix devant la force de l'interprétation et la prédominance de la sensibilité. En ce sens, il y a eu entre le chef et le soliste un accord total : on ne savait plus qui considérer de tel pupitre, du chef ou du soliste ! Il valait mieux alors se laisser emporter par le flot musical et par la vision dìun soliste qui use plus qu'un autre de son corps pour s'exprimer et pour souligner ce qu'il est en train de ressentir : jamais peut-être plus que ce soir-là m'est apparue l'importance du spectacle « physique » des musiciens au corps si mouvant, épousant de manière si parfaite les rythmes donnés par la musique. Une fête des sens.
De la quatrième, rien à dire: on voudrait encore abuser des superlatifs inutiles, mais c'est toujours « encore plus beau que la dernière fois». Le lecteur non averti pourrait être agacé par tant d'effusions, mais le Wanderer dans ce cas pense être complètement objectif : il s'appuie sur ses propres impressions, mais aussi sur les réactions d'un public au silence si parlant, à l'enthousiasme incroyable et pourtant si difficile à déchaîner dans ces lieux.
En concluant sur la Fantaisie op.80 pour piano, choeur, solistes et orchestre, Abbado offrait ce grand moment choral qu'il a toujours offert dans ses programmes de Pâques .
Mais cette fois, il a choisi une oeuvre peu jouée (et pour cause, vu l'ensemble des artistes qu'elle exige) qui finalement donne son sens à l'ensemble de l'entreprise. La Fantaisie op.80 commence par un solo pianistique d'une grande virtuosité bientôt repris par des cordes solistes dans l'orchestre, puis par l'orchestre dans son ensemble, les solistes et le choeur en un final qui à bien des égards renvoie à la IXème. Lorsqu'on a sous la main Pollini et Berlin, on imagine le résultat. Cette pièce donne l'occasion à la fois de passer en une vingtaine de minutes de la musique de chambre au monumental ensemble orchestral et choral. Mais elle est aussi l'occasion par le jeu des différents solistes, instrumentistes, chanteurs, de montrer ce que signifie « Faire de la musique ensemble ». Il y a des moments où le sentiment d'intimité musicale était tel qu'on avait l'impression d'être les voyeurs d'une exécution privée : impression confirmée le lendemain dans le cadre plus intime du Mozarteum pour un concert organisé dans le cycle Kontrapunkte construit par Pollini, dont il sera question plus loin. C'est bien là je pense un des points forts de ces concerts : il ne s'agit pas de moments construits par hasard dans une programmation musicale impersonnelle : il s'agit de moments voulus par les artistes, pour faire de la musique, et pour faire entrer le public dans une logique qui n'est plus celle de la consommation musicale, mais celle de la joie de participer à un moment privilégié, vécu simplement - oui , il faut oser le mot, malgré ce qu'il a d'incongru dans un cadre comme celui de Salzbourg - et dans une sorte de plénitude émotive et affective.


Indiscutablement quelque chose a changé ces derniers mois chez Claudio Abbado. Sans doute les épreuves vécues l'an passé et la rigueur qu'il s'impose au quotidien font passer au premier plan encore plus qu'auparavant une énergie vitale mise désormais toute entière au service de la musique. Cette concentration sur l'essentiel de sa vie provoque autour de lui et notamment chez les artistes qui le côtoient une nouvelle dynamique, c'était visible dans la Fantaisie op.80, c'est évident avec son orchestre qui désormais joue avec et pour lui. Depuis quelques mois, toute exécution de Claudio Abbado est marquée du sceau de cette urgence vitale qui lui donne une telle force émotive qui balaie tout sur son passage : on se souvient de certains moments du Requiem berlinois, du Tristan de Tokyo. Mais c'est encore plus évident avec Beethoven : il suffit de comparer l'enregistrement officiel qui remonte à un an (à peine !) et les exécutions plus récentes : là une magnifique interprétation d'une grande nouveauté, mais qui reste de l'ordre du comparable, ici des moments littéralement jamais « vécus », pleins d'une émotion qu'on ne croyait possible sous certaines conditions qu'à l'opéra (pour ma part, ma référence en la matière était Chéreau-Boulez à Bayreuth, du jamais vu ni entendu) : c'est bien de vécu qu'il s'agit. Et que cela soit tombé par les hasards du calendrier sur Beethoven est en quelque sorte une merveilleuse chance, car quel autre musicien est porteur d'une tel message humaniste et moral ? C'est pourquoi le message d'Abbado ici est avant tout éthique, de rigueur, de folle énergie, et surtout, on me pardonnera, d'amour .

Beethoven, Violinkonzert op 61 D-Dur
Beethoven, Symphonie Nr.4 C-Dur op.60
Beethoven, Fantaisie c-Moll op.80 fur Klavier Chor und Orchester

Maxim Vengerov, Violin
Maurizio Pollini, Klavier

Melanie Diener, Sopran
Rainer Trost, Tenor
Claire-Louise Lucas, Alt
Barbara Ochs, Alt
Andrew Mayor, Baß
Markku Salonen, Baß

European Festival Chorus

Claudio Abbado, Dirigent


Beethoven, Klavierkonzert Nr 5 Es-Dur, op 73
Beethoven, Symphonie Nr 7 A-Dur op.92

Maurizio Pollini, Klavier
Claudio Abbado, Dirigent