La cronaca del Wanderer

Le Wanderer - en français "le voyageur", rend compte de ses itinérances, de ses observations, de ses colères et de ses rencontres avec l'exceptionnel. Chacun de nous est le Wanderer: il suffit de nous envoyer un texte qui concerne la musique et plus particulièrement l'activité de Claudio Abbado, et nous le publierons!


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La chronique du Wanderer
N°9



Falstaff


Le Wanderer aurait aimé que ce Falstaff fût l'occasion d'un enthousiasme égal à ce que nous avons vécu lors des concerts. Certes, la lecture des critiques, l'enthousiasme relatif des abbadiens de retour de Salzbourg, et surtout les discussions montraient que la répétition comme la première ne faisaient pas l'unanimité. On était donc d'autant plus intéréssé par cette représentation, qui offrait aussi la vision d'un metteur en scène émule de Peter Brook, dont on parle beaucoup en ce moment, Declan Donnellan.

Falstaff n'est pas l'oeuvre la plus facile de Verdi, et bien des mélomanes, tout en reconnaissant le chef d'oeuvre, n'y adhèrent pas facilement. Lorin Maazel dit lui-même que c'est à la quinzième audition qu'on comprend qu'il s'agit d'un immense chef d'oeuvre: pas d'airs de bravoure, une continuité mélodique faite de conversations chantées, une mélodie elle-même souvent heurtée, saccadée, qui casse l'impression de continuité, tout cela constitue des obstacles difficiles: il faut prendre du temps pour apprécier Falstaff. Voilà une oeuvre qui n'est pas faite pour la consommation courante.

Et pourtant.

Quelle incroyable nouveauté pour le vieux patriarche de Sant'Agata. Aurait-on pu imaginer qu'il mît sur la scène le burlesque, et dans la fosse l'image musicale du burlesque avec ses moments de lyrisme, ses crises, ses heurts, son rythme incroyablement saccadé: imaginez-vous Falstaff en film muet: la musique de Verdi l'accompagnerait sans nécessité de commentaire ou de dialogue tant elle est "parlante" tant elle souligne tous les moments clés, tant elle dit les choses beaucoup plus qu'elle ne les commente, il y a là de la musique -excusez la comparaison qui vous semblera excessive - de pur dessin animé. Claudio Abbado emmène tout cela à un rythme effrené, et la perfection technique et instrumentale de l'orchestre lui répond à chaque fois sans bavures, tout le spectacle est là. Aussi bien les moments plus mélodiques que les moments heurtés, aussi bien les notes égrenées comme autant de dentelle sonore, tout cela est à la limite de l'impossible. La farce est dans la fosse: car si "tutto il mondo è burla" cela commence d'abord par la fosse, et Declan Donnellan l'a bien compris qui utilise cette fosse comme la Tamise d'où s'extrait péniblement Falstaff au troisième acte. Image métaphorique de la farce, la musique conduite par Abbado est tout autre que routinière, comme l'a écrit un critique allemand, et elle constitue bien un événement exceptionnel: à cette direction répond un orchestre motivé, qui sait jouer en tous les sens du terme, car c'est bien aussi de jeu qu'il s'agit: écoutez encore une fois les vents!!
Mais dans Falstaff, plus que dans tout autre opéra à la mécanique musicale doit répondre une parfaite mécanique scénique. Voilà une oeuvre difficile à proposer en version de concert tant elle doit être aussi visuelle, comment comprendre le sens de cette musique si elle ne s'accompagne pas de choses vues: perpétuel dialogue scène / fosse, Falstaff demande une mécanique de précision que Ronconi en ces mêmes lieux avait bien su rendre, notamment dans le deuxième acte miraculeux de théâtralité. C'est là où la mécanique s'enraye: à l'horlogerie abbadienne raffinée comme un automate de précision fait de petites pièces toutes à leur place répond une horlogerie moins rythmée, moins précise, plus floue qui n'est pas un écho de ce qu'on entend (ah..ce deuxième acte un peu confus et répétitif). Declan Donnellan cependant excelle à dessiner les personnages, et en ce sens, avoir transposé l'oeuvre au XIXème siècle est une idée bienvenue, elle fait ressortir l'amertume du vieux soldat, la petitesse bourgeoise de Ford, le côté provincial des commères, mais il est moins clair dans sa mise en place et en espace, un espace dont il refuse les particularités: cette scène si large que Ronconi, encore lui, avait su complètement habiter, aidé, il est vrai d'une Margherita Palli autrement plus inspirée que Nick Ormerod est ici simplement rétrécie et concentrée sur l'espace central, ce n'est qu'au tableau final qu'on utilise de manière très heureuse l'ensemble de la largeur pour cette excellente idée qu'est le festin de clôture! Il ya dans la mise en scène une éternelle hésitation entre le vrai burlesque et l'émotion, entre la farce et la fantasmagorie: c'est si net au troisième acte dont le fameux "ballet" de la Reine des Fées a été si critiqué et si peu compris: certes on est dans une fantasmagorie de pacotille où la Fée gouverne un corps de sylphides ou d'ondines ou de Wallies bien maladroites. Certes on a droit à d'incroyables erreurs d'ensemble, des fautes de pas, dans une sorte d'ingénuité totale de ces "petits rats" sollicités justement parce que leur danse n'est pas parfaite, parce qu'elles ne seront sans doute jamais Sylvie Guillem! Mais elles sont vêtues comme dans Giselle,et le public habitué au ballet classique prend au premier degré ce qui est évidemment du second degré, comme l'ensemble de la fantasmagorie: on n'est pas dans la magie noire, ni dans le fantastique, on est dans la farce, et l'apparition de Falstaff derrière ce tronc de carton pâte aurait dû informer plus clairement le public qu'il s'agissait de théâtre dans le théâtre. Seulement, la musique qui accompagne ce petit "ballet" ridicule est l'une des plus sublimes de la partition et tout le monde tombe dans le piège du premier degré..et voilà le public pris à son tour par la farce!" Tutto il mondo è burla".

On voit donc que le spectacle reste en deçà de ce que la direction musicale nous propose, et que si le metteur en scène propose un bon travail, plutôt traditionnel,il reste sans véritable invention si ce n'est le tableau final, intelligent et très réussi. Le décor reste très léger, fonctionnel, mais n'offre aucune vision et surtout hésite entre les styles, le réalisme dans les deux premiers actes, l'imagerie dans le dernier.
Du côté des chanteurs, à un Ruggero Raimondi exceptionnel de drôlerie et d'intelligence scénique, et encore très en voix, en tous cas plus en voix qu'à Berlin et Ferrare, font face des chanteurs de bon niveau, mais en rien remarquables: si les deux compères Bardolfo et Pistola (Anthony Mee et Anatoli Kotscherga) sont parfaitement à leur place, le Ford de Lucio Gallo est en deçà de ses prestations vocales habituelles . Carmela Remigio en Alice , que nous aimons beaucoup, ne semble pas trouver ses marques, mais sa prestation reste très honorable, Stella Doufexis est aussi inexistante vocalement que son personnage est bien typé scéniquement. Quant à Larissa Diadkova, elle ne fera pas oublier loin de là Marjana Lipovsek dans le même rôle. Il reste la fraicheur de Dorothea Röschmann et celle de Massimo Giordano, c'est peut-être eux qui nous laisseront le plus beau souvenir!

Au total, un spectacle qui est loin d'être médiocre, comme on a pu le lire çà et là, mais qui souffre d'une trop grande distance entre une qualité miraculeuse de la fosse et un plateau correct mais pas exceptionnel. Comme nous le rappelons souvent, l'opéra est soutenu par trois éléments , fosse et chef, mise en scène, voix. Si les trois fonctionnent, on a droit au miracle, si deux des trois fonctionnent, tout passe bien et c'est une grande soirée, si un seul fonctionne, aussi génial soit-il, cela ne passe pas et on reste déçu. Ce soir on a été déçu..mais peut-être aussi était-on trop bien habitué!

GIUSEPPE VERDI
1813-1901

Falstaff

Commedia lirica in tre atti
Libretto di Arrigo Boito

Regia/Inszenierung: Declan Donnellan
Scene e Costumi/Bühnenbild und Kostüme: Nick Ormerod

Sir John Falstaff: Ruggero Raimondi
Ford, sposo di Alice:Lucio Gallo
Fenton: Massimo Giordano
Dr.Cajus: Enrico Facini
Bardolfo: Anthony Mee
Pistola: Anatoli Kotscherga
Mrs Alice Ford: Carmela Remigio
Nanetta, sua figlia: Dorothea Röschmann
Mrs Quickly: Larissa Diadkova
Mrs Meg Page: Stella Doufexis

 

Berliner Philharmoniker
European Festival Chorus


Claudio Abbado, Dirigent