LUCERNE ET LA PRESSE
Le Monde t 20 AOÛT Luigi Nono Franz Schubert Richard Wagner
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et autour Festival : rencontres sonores du troisième type à Lucerne LE MONDE | 22.08.05 | 13h35 • LUCERNE (Suisse) de notre envoyé spécial Le sous-titre thématique du Festival de Lucerne, pour cette édition qui dure jusqu'au 18 septembre, est "Neuland". C'est-à-dire "Terre neuve", "terra incognita". Les affiches placardées partout dans la ville figurent un engin spatial en partance pour "l'air d'autres planètes", comme dit le texte du poème de Stefan George utilisé par Arnold Schoenberg dans la dernière partie, avec voix, de son Deuxième Quatuor à cordes (1907-1908). Le dernier programme de Claudio Abbado à la tête du Lucerne Festival Orchestra peut pour l'essentiel être rattaché à ce concept fédérateur. En effet, le Prometeo (1981-1984) de Luigi Nono dégage l'horizon de sites auriculaires inédits tandis que le "Prélude" de Tristan, de Richard Wagner, devait propager une onde de choc durable dans la musique occidentale, comparable à l'événement que constituèrent les premiers pas sur la Lune pour la recherche spatiale. L'association de ces deux mondes qui sont, chacun à sa manière, une "origine du son", fait sens. On comprend moins en revanche la présence, prise en sandwich au milieu de ce programme, de lieder de Franz Schubert orchestrés par Johannes Brahms, Max Reger et Anton Webern, sinon qu'ils permettent au baryton allemand Thomas Quasthoff, "artiste étoile" cet été à Lucerne, de se faire entendre avec orchestre symphonique. Claudio Abbado affectionne ces orchestrations puisqu'il les a enregistrées (avec Quasthoff et Anne Sofie von Otter, pour Deutsche Grammophon) et qu'il en donnait trois autres, avec la soprano Renée Fleming, deux jours plus tôt (Le Monde du 19 août). Max Reger et Johannes Brahms se tirent remarquablement bien de ce périlleux exercice, mais qu'Anton Webern orchestre et instrumente mal... RÉSONANCE NATURELLE Pour qui n'a jamais vu Thomas Quasthoff, son apparition sur scène est saisissante. Victime de la tristement célèbre thalidomide, le baryton, né en 1959, n'a pas pour autant perdu son sens (obligatoire) de l'humour. Voici comment il se présente dans son autobiographie, Die Stimme ("La Voix", éditions Ullstein, Berlin, 2004), ainsi que le rappelle notre confrère Julian Sykes dans Le Temps du 20 août : "1,34 mètre, bras courts, sept doigts ¬ - quatre à la main droite, trois à la main gauche ¬-, une grande tête plutôt bien formée, des yeux bruns, des lèvres épaisses. Profession : chanteur." Point à la ligne. Dès qu'il chante, on cesse de se demander : "Comment fait-il ?" Il fait. Mieux : il accomplit. Quasthoff, magnifique et rayonnant, est un artiste d'exception. Sa simplicité, la résonance naturelle et sensible de sa voix (souple, chaude, parfaitement émise) et son art de la diction font merveille. Une leçon, de vie certes, mais avant tout de musique. A la fin de la suite tirée du Prometeo de Luigi Nono, vaste fresque sonore qui est un voyage sidérant et sidéral dans les mondes intérieurs de l'écoute, on se disait qu'on aurait rêvé entendre, immédiatement enchaîné, le "Prélude" de Tristan . Mais les lois de la pesanteur en matière de régie de plateau excluent de passer d'une œuvre spatialisée (pour petits groupes de solistes vocaux et instrumentaux traités par l'électronique) au grand orchestre traditionnel. Aussi, ce n'est qu'après les lieder de Schubert, avec orchestre de chambre, que le gigantesque effectif du Lucerne Festival Orchestra peut entonner l'accord magique. Un orchestre non "chauffé" (de toute évidence chez les bois), un Abbado peut-être un rien fatigué expliquent qu'on soit resté en deçà des mystères toxiques de Tristan. Mais on reste bouleversé par cet exceptionnel orchestre et par l'écho encore vibrant d'une Septième Symphonie de Gustav Mahler, donnée l'autre soir comme on ne l'avait jusqu'alors jamais entendue. ________________________________________ Prometeo Suite de Luigi Nono, Sept lieder avec orchestre de Franz Schubert, "Prélude et Mort d'Isolde", extrait de Tristan et Isolde, de Richard Wagner. Thomas Quasthoff (baryton), Lucerne Festival Orchestra, Claudio Abbado (direction). Festival de Lucerne, grande salle de concert du Centre culturel et des congrès, le 20 août. Jusqu'au 18 septembre. Tél. : (00-41) 41-226-44-80. www.lucernefestival.ch Renaud Machart
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