LUCERNE ET LA PRESSE
Le Monde 10 AOÛT Mozart Konzert u.Opern Arien Gustav Mahler
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et autour Lucerne ouvre dans l'euphorie LE MONDE | 12.08.06 | 15h14 • Mis à jour le 12.08.06 | 15h14 Il fait 16 degrés et il pleut des cordes à Lucerne en ce jeudi 10 août. Le lac des Quatre-Cantons, tout hérissé de chair de poule, n'a pas refroidi la jubilation des cygnes, foulques et canards, non plus que la détermination des mélomanes qui se pressent à l'entrée du KKL (le magnifique Kultur und Kongresszentrum Luzern, dû à l'architecte Jean Nouvel), où se tient depuis 1998 le Festival de musique de Lucerne. Dix-sept heures : petit coup d'envoi sympathique avec officiels et sponsors. Discours, mini-concert de musique contemporaine et chansons de cabaret berlinois, Kurt Weill, Hanns Eisler - avant le vrai concert du soir, dirigé comme il se doit par Claudio Abbado. Figure emblématique et tutélaire du lieu, fidèle à sa réputation, le chef d'orchestre italien a été le maître d'oeuvre d'une renaissance, celle du fameux Orchestre du Festival de Lucerne, fondé en 1938 par Arturo Toscanini à l'occasion d'un concert de gala devenu légendaire devant la villa wagnérienne de Tribschen. De 1943 à 1999, l'Orchestre suisse du Festival (SFO) sera composé des meilleurs éléments d'orchestres suisses. Reformé par Abbado en 2003 sur la base de son orchestre de jeunes, le Mahler Chamber Orchestra, la formation symphonique accueille un grand nombre de solistes. Ainsi la violoncelliste Natalia Gutman, la clarinettiste Sabine Meyer et son ensemble à vents, les membres du Quatuor Alban Berg, le violoniste Kolja Blacher, et, pour la première fois, des membres de l'Orchestre de jeunes Simon-Bolivar créé par Abbado au Venezuela. Si le prestige d'un festival se mesure à la notoriété de ses artistes, celui de Lucerne donne le vertige : les chanteurs Cecilia Bartoli, Angelika Kirchschlager, Thomas Quasthoff, Mathias Goerne, le pianiste Maurizio Pollini, la violoniste Anne- Sophie Mutter. De même les orchestres invités : Philadelphie (dirigé par Christoph Eschenbach), Cleveland (par Franz Welser Möst), San Francisco (par Michael Tison Thomas), le Concertgebouw d'Amsterdam (par Mariss Jansons), l'Orchestre philharmonique de Vienne (par Nikolaus Harnoncourt et Valery Gergiev), et le Mahler Chamber Orchestra (par Daniel Harding). Ce qui n'empêche pas la série "Début" de fourbir les premières armes de jeunes solistes : Jacqueline Du Pré (1965), Anne-Sophie Mutter (1976), le Quatuor Hagen (1980) et Christian Tetzlaff (1989), plus récemment Nikolaj Znaider et Julia Fischer, ont tous commencé à Lucerne. Le cocktail donné sur la terrasse du KKL a réchauffé tout le monde et les parapluies dégouttent au vestiaire. On dîne tôt en Suisse : concert à 19 h 30. Formation Mozart en scène, la sensuelle et pétulante Cecilia Bartoli explose dans une robe rose fraise écrasée crème fraîche, coiffure à la Barbarella et collier de chien en brillants. Le joli air de concert "Chi sa, chi sa, quial sa" KV 582 est avalé d'une seule bouchée par la gourmande, qui enchaîne avec l'air de Sesto "Parto, parto, ma tu ben moi" dans La Clémence de Titus. Nulle mieux qu'elle n'est si précisément dans le texte, qu'elle cisèle dans un exquis duo avec la clarinette superlative de Sabine Meyer. L'Exsultate, Jubilate KV 175, de 1773, destiné par Mozart au castrat Venanzio Rauzzini, primo uomo de son Lucio Silla, Bartoli en fait un festival de la joie, joie de colorer, joie de respirer, joie de vivre, joie mystique, joie enfantine. Abbado, lui, dessine à chaque fois un mouton. Mais la cantatrice a du mal à projeter ses aigus dans la grande salle de 1 840 places. Son "Voi che sapete" en bis restera cependant un modèle de grâce et d'émotion, entre larmes et sourires. Entre larmes et sourires aussi, mais d'une tout autre nature, la Sixième Symphonie de Mahler par Claudio Abbado. Le visage extatique et douloureux du maestro plane sur cette musique, qu'il sert d'une baguette à la fois tragique et jubilatoire. Lyrisme soutenu, introspection chorale, sarcasme de cauchemar, prescience de quelque enfer à venir, Abbado dit tout de cette prémonition de sommeil d'enfant, musique jumelle des Kindertotenlieder, qui pressent la mort sans la vouloir combattre tout à fait. Le très long silence qui suivra la dernière percussion du dernier accord est d'une éloquence terrible. Abbado se retourne, sur un désastre et une paix. Dehors, la pluie a cessé. Cecilia Bartoli (mezzo-soprano), Orchestre du Festival de Lucerne, Claudio Abbado (direction). Le 10 août. Festival de Lucerne, Kultur und Kongresszentrum Luzern (KKL), Europaplatz 1, 6002, Lucerne (Suisse). Tél. : 00-41-41-226-44-80. Du 10 août au 17 septembre. De 14 ¤ à 235 ¤. www.lucernefestival.ch/
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